Depuis une quinzaine d’années, le documentariste Kazuhiro Soda rend compte de l’état de la société
japonaise par l’entremise d’une observation minutieuse du réel, dont il dévoile, sous la surface des
représentations traditionnelles, les dimensions cachées.
Né au Japon, Soda étudie le cinéma à New-York où il s’installe en 1993 avant d’entamer une carrière dans
le reportage télévisuel. Genre dont il éprouve rapidement les limites, et contre lequel il élabore une
antithèse, à travers une méthode formalisée par dix commandements. Ces règles pratiques, parmi
lesquelles l’absence de recherches et de scénario préalable au tournage, lui permettent de sauter à pieds
joints dans le réel, sans filtre ni préjugé, tout en laissant une large place au surgissement de l’imprévu.
Héritier du cinéma direct de Frederick Wiseman, Soda inaugure sa démarche avec Campaign, premier
« film d’observation » grâce auquel il obtient une reconnaissance internationale, jusqu’à Professeur
Yamamoto part à la retraite, récompensé de la Montgolfière d’Or au Festival des 3 Continents et primé au
festival de Berlin.
Le cinéma de Soda se déploie dans la diversité des champs sociaux, du centre à la périphérie. Depuis les
politiciens en représentation de Campaign, aux patients atteints de trouble mentaux de Mental, en passant
par les ouvriers de Oyster Factory, le cinéaste pointe sa caméra sur des espaces peu représentés. La force
de sa méthode réside dans l’investigation d’un espace réduit pour en approfondir la substance. C’est dans
l’attention au particulier que Soda reconstitue la structure sociale du monde et en dévoile les rapports,
dissimulées sous la surface du quotidien. Le fonctionnement d’une petite usine d’huîtres devient allégorie
de la mondialisation dans Oyster Factory, alors qu’une campagne municipale sert de miroir grossissant
pour décrire le Japon post-Fukushima dans Campaign 2. Par un sens inné de la métaphore, Soda
transfigure le particulier pour l’élever à l’universel, tels les chats qui servent de prémisses à Peace.
Résidant à New-York mais filmant le Japon, Soda adopte une distance ironique dans l’observation de ses
contemporains. L’humour n’est jamais absent de son cinéma, à l’image des tribulations du candide
Yamasan, protagoniste des deux Campaign. Son empathie naturelle tend à réduire la distance avec ses
sujets. Il démontre une sensibilité bienveillante envers les invisibles de la société. Se plaçant à leur
hauteur, il leur restitue humanité et dignité : ainsi des ouvriers chinois de Oyster Factory, de la vieille
commère de Inland Sea, en passant par Yoshiko, touchante présence qui illumine la seconde partie de
Professeur Yamamoto part à la retraite.
Le documentaire selon Soda s’attache moins à la forme qu’au sens. Chacun de ses films entretient un
rapport aux autres, formant une fresque, celle de la vie. Par une radioscopie intime et minutieuse de la
société japonaise, Soda nous rapproche de l’archipel plus qu’il nous en éloigne. Loin de tout exotisme ou
stéréotype, il contribue à universaliser la séculaire dialectique entre individu et société par le prisme du
Japon.